Faire retentir l’Evangile à hauteur de l’Humanité  
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Christine Aulenbacher
23/2/11

Faire retentir l’Evangile à hauteur de l’Humanité

Remerciements

Je tiens tout d’abord à remercier Cécile Entremont de m’avoir invitée à partager un temps de réflexion avec vous autour des questions qui vous préoccupent aujourd’hui, à savoir plus particulièrement comment être innovants et partager ce qui vous tient à cœur avec les jeunes adultes, plus précisément la génération des 25-45 ans… C’est toujours une grande joie pour moi d’avoir l’occasion de rencontrer des hommes et des femmes engagés sur le terrain…car je ne cesserai de le dire : je ne conçois pas la réflexion théologique sans une confrontation permanente avec l’expérience, avec le réel.

Avant de commencer, je tiens également à vous présenter mes excuses : je serai sans doute obligée de bouger et de changer de position lorsque je parlerai. N’en soyez ni surpris, ni inquiet ! J’ai en effet une discopathie dégénérative qui m’oblige à utiliser un siège ergonomique adapté à ma santé. Je vous remercie donc par avance pour votre compréhension.

Mon propos se situera dans le cadre de la théologie pratique et plus particulièrement dans le champ de compétence qui est le mien, c’est-à-dire, à la croisée des sciences théologiques et des sciences humaines. J’apporterai juste quelques éléments de réflexions sur les jeunes générations et nous aurons ensuite l’occasion de les approfondir – sous une forme ou une autre - dans les temps de carrefours prévus et qui vous permettront de vous réapproprier le travail de cette journée. Quand Cécile m’a demandé quel titre donneras-tu à ton intervention, j’ai assez vite répondu : «Faire retentir l’Evangile à hauteur de l’Humanité». C’est un grand titre et je ne ferai qu’esquisser là encore quelques point d’appui, car il conviendrait d’écrire tout un livre sur ce sujet.

Mais avant de développer ce point de vue, je voudrais juste poser un bref regard sur le contexte dans lequel vivent les jeunes adultes. Cela nous permettra de mieux les comprendre sans doute et de mieux vivre notre responsabilité fraternelle à l’égard d’eux.

1. Bref regard sur le contexte culturel et sociétal dans lequel vivent les 25-45 ans…mais dans lequel nous vivons aussi ! 

La société moderne occidentale est profondément marquée par la sécularisation, ce mot-clé utilisé par les spécialistes pour désigner ce bouleversement  qui consiste à détacher de leurs fondements religieux, aussi bien les institutions (la science, la politique, le droit...) que les activités humaines qui en découlent ; en séparant les sphères d’activités et de savoirs de la religion, cette dernière est devenue elle-même un de ces domaines alors qu’elle était jusque là celui qui donnait sens à tous les autres.

La «désinstitutionalisation» de la référence religieuse, l’individualisation, et l’ouverture au pluralisme culturel sont autant de conséquences de la sécularisation. L’identité religieuse ne se définit plus par rapport à une appartenance ou à une adhésion institutionnelle mais davantage par rapport à un agir: l’agir d’une liberté individuelle qui puise dans son héritage religieux et culturel un certain nombre de significations et de valeurs qui permettront à l’homme contemporain de construire sa propre vision du monde, sans sanction, ni obligation. La séparation entre les sphères de la vie publique et de la vie privée est désormais constitutive des rapports que les jeunes générations entretiennent avec la religion. Tout ce qui relève des croyances et des convictions est relégué aujourd’hui dans l’espace privé et personnel de nos contemporains, s’organise sous la souveraineté du sujet individuel et répond presque au seul critère de l’utilité. La modernité a elle aussi opéré un certain nombre de mutations socioculturelles. Les jeunes adultes sont invités à conquérir sans cesse leur autonomie, à maîtriser techniquement le monde qui les entoure, à devenir performant dans tous les domaines de leur vie.

Quel que soit son sexe, son âge, sa situation, chacun partage plus ou moins la conviction que la liberté individuelle et l’épanouissement de la personne doivent être placés au-dessus de tout et ce, dans quelque domaine que ce soit. A cela s’ajoute la croyance aujourd’hui que sincérité et intensité sont les meilleures preuves de l’authenticité des liens établis entre les personnes. La modalité du croire s’en trouve du même coup transformée: l’homme contemporain s’inscrit aujourd’hui dans l’affirmation d’une performance personnelle de sens. La morale relève uniquement de la conscience personnelle et les valeurs auxquelles la jeune génération adhère, sont définies indépendamment de toute influence institutionnelle ou de toute détermination extérieure. Dans cette logique d’identité et de structuration du sujet, le sujet puise alors dans l’éventail religieux qui lui est proposé, des éléments signifiants qui vont lui permettre de se forger une identité religieuse, chrétienne ou autre. Ce qui est important de retenir c’est que si la question du «sens» de la vie demeure une question fondamentale pour les jeunes adultes, sa réponse n’est plus systématiquement cherchée à l’adresse de la religion.

Autrement dit, à la religion qui «me» donnait sens - dans un cadre collectif -, m’apportait sécurité et repères, me permettait le don de moi-même, me promettait salut, guérison et félicité dans l’au-delà, succède un «moi qui» suis en quête de sens, de salut, de guérison, de sécurité, de service, de bien-être, ici bas. Le choix individuel devient la loi; cela n’engage pas uniquement le fait de croire ou de ne pas croire, mais la manière de croire et le contenu même de la croyance. La vérité religieuse ne se présente plus comme un donné reçu, hérité, mais comme le fruit d’une quête personnelle.

La quête spirituelle de l’homme contemporain est devenue plus mystique et parfois même plus intellectuelle ; elle est devenue plus individuelle que communautaire, plus personnelle qu’institutionnelle. Si l’expression «société en crise», qui affecte tous les secteurs de l’activité humaine, est presque partout présente dans les recherches actuellement menées, nous parlons aussi de plus en plus volontiers de «crise de la transmission». Il semblerait que la merveilleuse conjugaison entre la généralisation de l’esprit critique, la rencontre des cultures et les progrès de la technique, soit venue ébranler les savoir-vivre fondamentaux que véhiculaient jusque là les grandes traditions. Cette crise dite de «la transmission» entraîne non seulement une fragilisation de la personne mais aussi des fragilités par rapport à ses raisons de vivre et ses raisons de construire son avenir. L’histoire personnelle de nos contemporains est de plus en plus faite de ruptures et de changements.

La mobilité géographique des hommes et des femmes de notre temps ne favorise plus forcément l’enracinement «communautaire» dans un lieu et un temps précis. Le paysage où nous vivons est en perpétuel mouvement dans tous les domaines et les frontières entre les pays évoluent à tel point que nous pourrions nous demander si l’homme contemporain, premier navigateur sur le Web, n’est pas aussi devenu un navigateur de «première classe» dans ses itinéraires professionnels, politiques, religieux...  La rentabilité, l’efficacité et l’immédiateté sont devenus les moteurs dominants de la société mais paradoxalement aussi des obstacles à l’équilibre et à la construction de l’être humain.

Notre société mondialisée vit de plus en plus à deux vitesses et les écarts s’accentuent: si certains vivent matériellement de mieux en mieux, les laissés-pour-compte eux, vivent dans une précarité et une marginalisation de plus en plus grandes. Alors que la solidarité mondiale est devenue parfois spectaculaire sous l’influence des médias, aujourd’hui encore meurent chaque jour des hommes et des femmes dan les rues de nos pays civilisés.

Aujourd’hui les adultes en quête de sens, et plus particulièrement peut-être les 25-45 ans, aspirent davantage à habiter le monde qu’à le transformer ; le «vivre ensemble» semble être devenu plus important que le «transformer ensemble la société». Les questions ouvertes de la bioéthique et de l’écologie ont fait redécouvrir la fragilité humaine. De nouveaux rapports homme/femme, humanité/nature, famille composée/ décomposée/recomposée apparaissent également. La perte de repères structurants et sécurisants rend plus difficile pour les jeunes générations, l’identification ou l’opposition à un modèle, en vue de se construire. Mais elle favorise aussi la quête de sens et de valeurs.

Enfin, la question de l’identité est devenue sans doute une des questions actuelles brûlantes parce qu’elle pose implicitement les problèmes fondamentaux de la mémoire, de l'héritage et de l'histoire et vient questionner notre devenir individuel et collectif. Or, il ne peut y avoir d’ouverture à l’autre et de dialogue qu’à partir de la conscience et de la connaissance de soi-même, du respect de soi et de son histoire personnelle. Le pluriel ne peut se conjuguer qu’à partir du singulier. L'identité, c'est ce qui nous fait semblable - le même que les autres - mais aussi ce qui nous fait unique - distinct d'autrui. Si la réussite personnelle, l’ambition professionnelle, le culte de la performance et de l’éternelle jeunesse sont autant de facteurs déterminants pour les jeunes adultes aujourd’hui, vivre sa vie, tracer sa voie et assumer ses choix ne sont pas forcément des tâches faciles dans un monde où les repères ne vont plus de soi. Mais le processus d’individualisation ne signifie pas absence ou diminution des liens sociaux (l’individu ne pouvant se passer de relations), mais engagement dans des liens plus personnels, plus électifs, plus contractuels.

Aux liens hérités qui s’imposent à eux, succèdent des relations choisies. Et ces relations choisies peuvent à tout moment être remises en cause. En conséquence, les liens conjugaux et familiaux, plus largement la vie associative et l’appartenance militante s’en trouvent affectés. La vie de couple devient complexe, dans la mesure où «elle engage toujours quatre personnes, chacun devant faire avec le ‘soi’ seul et le soi ‘avec’ de son compagnon ou de sa compagne(1)». Les individus tentent de mener une double vie, non pas dans le sens de deux vies conjugales, mais dans le sens d’une vie conjugale associée à une vie personnelle(2).

Le milieu associatif, loin d’être déserté, se transforme lui aussi. Les associations dont les adhérents se caractérisent plutôt par une activité commune, sportive ou culturelle, ont pris le pas sur celles où l’on s’associe pour défendre des intérêts communs (syndicats(3), parents d’élèves). L’épanouissement individuel prime là encore au détriment de l’engagement militant, vieillissant. «L’engagement se comprend comme un choix individuel, il ne répond plus au désir ou au besoin de s’inscrire dans des identités collectives, qu’elles soient géographiques, professionnelles ou religieuses. L’individu contemporain veut bien s’engager, à condition de pouvoir préserver son quant à soi, sa liberté d’action et d’expression(4)». Ainsi les regroupements demeurent nombreux et divers, mais les affinités, les centres d'intérêt, les besoins communs l’emportent désormais sur l’héritage.

La demande d’être de nos contemporains précède la demande d’agir et le devenir croyant est plus important que le faire. Ce n’est pas sans raison que de plus en plus d’adultes cherchent des lieux et des temps pour se ressourcer personnellement, spirituellement et intellectuellement, au-delà de tout souci d’engagement. Il ressort de ces évolutions une mise en question sans pareil des identités. (Par le passé, «l’individu intégré dans la communauté traditionnelle, tout en se vivant concrètement comme un particulier, ne se posait pas de problèmes identitaires tels que nous les entendons aujourd’hui. La montée des identités provient justement de la déstructuration des communautés, provoquée par l’individualisation de la société(5)».) Si nous sommes entrés dans l’ère des identités, c’est peut-être justement parce qu’elles ne vont plus de soi. Jean-Pierre BOUTINET souligne à ce sujet : «L’adulte n’est plus ce qu’il était (…). Ces cinquante dernières années, l’image de l’adulte s’est transformée en empruntant successivement trois états caractéristiques. Jusque dans les années 50, l’adulte était la référence par rapport à laquelle se situaient les autres âges de la vie. Il s’agissait d’un adulte étalon (…), à la fois représentant de la norme de l’ordre moral, et responsable de la reproduction des générations (…). Avec l’avènement des années 60, un nouveau modèle de vie adulte va rapidement s’imposer : celui de l’adulte en perspective (…). L’adulte se construit par ses projets de carrière, de formation, dans ses projets professionnels (…).  A partir des années 1975-1980, avec la crise de la société de progrès et la montée des précarités (…), cet adulte en construction va vite laisser place à une nouvelle représentation de la vie adulte : l’adulte à problèmes (...). Dans un environnement qui lui paraît trop complexe, il fait l’expérience de sa propre immaturité».

Oui, aujourd’hui les identités sont bousculées et les individus questionnés tant à propos de leurs rôles et de leurs appartenances que de leur singularité précisément, et jusqu’au plus intime d’eux-mêmes. Les certitudes disparaissent, les repères sont brouillés, les règles deviennent floues et instables, les normes deviennent problématiques et perdent leur autorité. L’individu se retrouve certes plus libre, mais peut-être aussi plus désemparé parce que les rôles sont moins affirmés et les cadres moins sécurisants. Notre société exige de nos contemporains une compétence et une disponibilité permanente. Une exhortation incessante à la performance pousse les jeunes générations à «rester dans la course», à «être au top du top», au bureau comme à la maison. Le modèle industriel, avec ses impératifs d’efficacité, a désormais envahi le domaine de la sexualité. Le culte de la performance est en effet présent juste dans la vie sexuelle de nos contemporains ; en témoigne l’explosion des sites de vente de viagra, comme si la vie émotionnelle finissait par se réduire à l’angoisse du «serais-je à la hauteur ?». L’orgasme devient pour beaucoup la seule mesure de réussite de leur relation sexuelle.

Les médicaments ne sont plus seulement destinés à soigner, mais à augmenter les performances individuelles et à accomplir, au moment voulu, les gestes de la vie quotidienne, entretenant ainsi le fantasme de «la toute-puissance». Dans ce contexte, il n’est donc pas étonnant que les troubles de l’érection soient devenus un marché, renforçant ainsi la croyance que la clé d’une sexualité réussie passe irrémédiablement par une «mécanique» infaillible. Il n’y a plus de place pour la fatigue, l’échec, la traversée du désert, la fragilité ou l’imprévu. Une telle pression semble s’exercer sur l’homme contemporain qui finit par croire qu’il doit être partout «infaillible».

A la morale du «permis-défendu» qui avait structuré la sexualité durant une bonne partie du XXème siècle, semble succéder un autre couple, celui du «possible-impossible», la société actuelle nourrissant en l’homme l’illusion du «tout-possible(6)». Enjoint de décider et d'agir en permanence dans sa vie privée comme dans sa vie professionnelle, «l'individu conquérant est en même temps un fardeau pour lui-même». Tendu entre conquête et souffrance, l'individualisme présente ainsi un double visage.(7) 

Alain Ehrenberg s’interroge : «La passion d’être soi, qu’encouragent les nouvelles normes, a-t-elle pour contrepartie le mariage de la dépression et de l’addiction?». La dépression renvoie de moins en moins à la culpabilité et de plus en plus à l'inhibition. Ce n'est plus le refoulement de désirs interdits qui en est l'origine, mais «le poids du possible», la confrontation entre la notion de possibilité illimitée et celle d'immaîtrisable. Or, être propriétaire de soi ne signifie pas que tout est possible, que tout est jouable. La dépression et l'addiction rappellent à l’homme qu’il reste un être humain, Alain Ehrenberg allant jusqu’à dire que «la dépression est le garde-fou de l'homme sans guide»; «parce qu'elle nous arrête, la dépression a l'intérêt de nous rappeler qu'on ne quitte pas l'humain(8)». 

Après avoir décrit ce contexte dans lequel vivent les jeunes générations… (et nous-mêmes aussi d’ailleurs!), nous pouvons nous poser cette question: que faire de notre Trésor partagé? A qui et comment transmettre ce que nous avons reçu de l’Eglise et de l’Evangile? Mais formuler ainsi la question, comme le disait Cécile tout à l’heure, c’est peut-être faire fausse route et rester comme enfermé dans des schémas qui n’ont plus lieu d’exister. Il nous appartient de faire le deuil de ce qui a été pour nous ouvrir à la nouveauté de ce qui peut advenir ici et maintenant. Voilà pourquoi j’ai voulu donner comme titre à mon intervention: «Faire retentir l’Evangile à hauteur d’Humanité». Parce que l’Evangile est toujours d’actualité et parce que l’Evangile rejoint toujours l’Humain là où il est, aujourd’hui comme hier tout comme demain !...

2. Faire retentir l’Evangile à hauteur d’Humanité

Notre souci est presque toujours formulé en ces termes: comment rejoindre les jeunes générations? Aujourd’hui, j’ai envie de vous dire… et si nous inversions la vapeur… et si nous nous disions… comment nous laisser rejoindre par eux? N’est-ce pas là la vraie question! N’est-ce pas là commencer à répondre à cette question «à quoi faut-il être attentif»? Sommes-nous vraiment prêts à nous laisser rejoindre par eux dans toute leur diversité!

Je ne suis pas d’accord pour dire si catégoriquement que Dieu est en dehors des préoccupations premières de ces jeunes adultes, pris par le sport, le travail, l’argent ou simplement désireux de «profiter de la vie». Le tableau n’est pas si sombre que cela. Que savons-nous de leur cœur? Etre chrétien, est-ce seulement participer à la communauté chrétienne… ou est-ce également participer à la communauté humaine? Ne soyons pas si inquiets que cela. Dieu est toujours à l’œuvre dans le cœur de tant d’hommes et de femmes de notre temps.

Il y a aussi parmi cette génération des hommes et des femmes engagés politiquement et socialement, qui consacrent leur temps et leurs espoirs à l’avènement d’un monde différent, égalitaire et démocratique. Ils se donnent des buts sociaux, culturels et politiques qui leur semblent suffisants. Ils s’y donnent au point pour certains d’en faire le but de leur vie. Il ne s’agit pas de voir ces personnes comme des indifférents, d’aller à eux comme à des étrangers. Ils sont le plus souvent là, à une période de leur vie, ne percevant plus le message fondamental de notre foi commune. Ils posent des questions à l’Eglise, dans la mesure où celle-ci peut se demander si elle n’a pas privilégié des langages, des institutions, des valeurs ou des expressions mystiques étrangères à la cuture contemporaine.  Ils nous interrogent aussi nous chrétiens, dans la mesure où nous avons peut-être «banalisé» l’espérance chrétienne en des formules, des valeurs, et des projets différents de ceux qui circulent dans la société.

L’homme contemporain(9) - et c’est là vraiment une chance pour nous - aspire à une religion dépoussiérée des contraintes des religions archaïques et du poids de la tradition, à une religion plus ouverte et plus expressive. Dans le contexte de la mondialisation(10), la question «qui sommes-nous?» est devenue plus importante que celle du «où allons-nous ensemble?». Il me semble que l’individualisme(11) moderne est encore trop souvent critiqué et perçu uniquement dans ses aspects négatifs, parfois même confondu avec une attitude morale proche de l’égoïsme; or, si on envisage l’individualisme(12) au sens de la capacité d’un individu à se prendre en charge lui-même et à s’affirmer indépendant des instances collectives, cela peut être aussi une chance, un atout, y compris dans le domaine spirituel. Nos contemporains ne désirent plus être «infantilisés» ; ils aspirent à vivre leur vie et leur foi de façon libre et autonome(13). C’est là un formidable défi sur lequel nous pouvons prendre appui. Le christianisme peut désormais être envisagé non plus seulement comme l’appartenance à une tradition, mais également comme un mouvement spirituel, comme une expérience individuelle (dans sa relation à Dieu, aux autres et à soi-même?) parmi tant d’autres. La spiritualité chrétienne, tout en faisant une juste place au mystère de la croix, se doit avant tout de faire des croyants, des vivants.

Et c’est là que nous sommes convoqués: comment partageons-nous notre joie de croire, quel temps prenons-nous pour créer gratuitement des liens avec les jeunes générations, sans même leur parler de la foi et encore moins de nos engagements aux parvis ou ailleurs. Créer du lien gratuitement avec eux, dire notre espérance, les aider à donner du sens à leur existence quelle qu’elle soit aujourd’hui, ici et maintenant…et non pas hier et non pas demain! C’est aujourd’hui même, à travers des relations simples et fraternelles que nous pouvons redonner du souffle, de l’élan à cette jeune génération écartelée et dispersée par tant d’incertitudes et de peurs.

Je crois profondément qu’en nous efforçant de voir la réalité de l’Homme contemporain(14) comme une promesse et non comme une menace, les chrétiens se donneront toutes les chances d’être eux-mêmes renouvelés et dynamisés dans leur être, tout en gardant ce qui fait l’originalité de leur foi, à savoir qu’ils sont dépositaires d’un Trésor, d’une Bonne Nouvelle pour aujourd’hui.

Oui, les jeunes générations nous posent indirectement des questions: y a-t-il une façon chrétienne de se réaliser en plénitude dans la relation à soi, aux autres et au Tout Autre? Comment permettre à l’humain de marcher vers un itinéraire de sanctification tout en empruntant des chemins d’humanisation(15)? Y a-t-il un bonheur à être chrétien? Comment (par quels moyens) peut-on trouver ou retrouver une vie spirituelle intense au cœur même d’une existence stressante? La recherche spirituelle des femmes et des hommes de notre temps, est un véritable défi pour nous aujourd’hui ? La réalisation de soi est une aspiration fondamentale de tout être humain.

En permettant à un adulte en quête de sens d’ «aller vers soi» (c’est-à-dire vers lui-même), nous pouvons lui donner les moyens de se construire en tant que sujet et de pouvoir se situer à la fois dans un «je» libre et autonome, et dans un «nous» responsable, capable de participer activement à l’édification de la communion au cœur même de la communauté humaine et croyante. La Bible évoque souvent le «cœur» comme ce lieu où, dans l’Homme, le Seigneur a dressé sa tente. Aller vers soi, descendre dans son être le plus profond, c’est donc rencontrer cette source secrète où, en nous, Dieu nous parle et étanche notre soif. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, une quête de soi «christianisée» décentrera l’Homme de lui-même et le ramènera sans cesse aux appels du monde.

Alors que devons-nous faire?

Je vais peut-être un peu vous bousculer… mais plus j’avance moi aussi en âge… en expérience dans ce domaine, plus j’ai l’impression que se poser une telle question, c’est déjà entrer dans une forme de culpabilité qui risque de nous paralyser. La question ne devrait-elle pas plutôt être formulée ainsi : que devons-nous être? Paul VI: «L’homme contemporain écoute plus volontiers des témoins que des maîtres ou s’il écoute des maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins.»

Est-ce que Dieu nous demande de faire un tas de choses pour les autres ou est-ce qu’il nous demande d’être? De vivre en enfants du Père, de nous laisser aimer par Lui tels que nous sommes, habités par sa Présence et d’en témoigner pour donner le goût aux jeunes générations de se poser cette question: mais qu’est-ce qui te fait vivre de l’intérieur? Vous vous souvenez de la question de Jésus : pour toi, qui suis-je? Que répondrions-nous spontanément à cela?

Que faut-il faire? Ou que devons-nous être? Ca nous rappelle bien une question dans l’Evangile. Que dois-je faire (Mt 19,16-22)? Va, vends tout ce que tu as et suis-moi? Suivre Jésus jour après jour, ce n’est pas rien…Cf. Mt 6,25-34 (ne vous inquiétez pas du lendemain): quelle est notre foi, quelle est notre espérance? On pose toujours la question de demain, de l’avenir…avenir de l’Eglise, de l’avenir des Parvis, etc… mais vit-on assez de l’aujourd’hui même de Dieu? Cet aujourd’hui même de Dieu qui se donne, jour après jour, à travers le simple geste de la fraction du Pain, et - dans la mesure où notre cœur veut bien le percevoir... - à travers «le sacrement du frère ou de la sœur» dont nous ne tenons peut-être pas encore suffisamment compte aujourd’hui pour avancer nous-même personnellement et pour faire avancer l’Eglise au cœur de ce monde en quête de sens et d’Espérance. L’ouverture fraternelle simple et concrète; l’accueil de l’autre tel qu’il est et non pas tel que nous rêvons qu’il soit ou qu’il devienne. Voilà des intersections où nous pouvons trouver notre place. Parce que le fondement de l’Eglise est en Dieu, la communion peut alors prendre une ampleur illimitée: elle n’est pas seulement la communion des hommes avec Dieu; elle est, pour cette raison même, la communion des hommes entre eux. En ce sens, elle est tout à la fois théologale et fraternelle: l’union à Dieu étant le principe de l’union entre les frères (voir J. Rigal p.17)

Nous voici donc invités aujourd’hui plus que jamais, à chercher les traces de «ce Dieu qui se dit dans la contingence, dans la fragilité et la gravité de l’his­toire humaine (16)». N’est-ce pas là un magnifique défi pour l’avenir! Mais ce défi ne peut être relevé que si nous sommes profondément convaincus que c’est Dieu qui ne cesse de chercher l’Homme et de l’aimer jusque dans ses fragilités les plus enfouies... et à travers toutes les contingences de son humanité. Et Dieu, Lui, ne se décourage jamais d’aimer!

A l’aube de ce XXI e siè­cle, ne soyons pas de ces chrétiens qui semblent perdre le moral! Il est vrai que les églises se vident et que le langage chrétien est de­venu étranger à l’homme contemporain, mais ce n’est là qu’une forme d’Église qui se meurt. Une réalité demeure vivante et agissante : «l’Évangile est attendu comme une Source» et «une ressource pour susciter des choix et des engendrements qui vont bien au-delà des frontières visibles de l’Église…» (comme l’exprime si bien le fameux «rapport Dagens»). Pour tous ces jeunes générations, chercheurs de sens, en quête de guides et de coachs, saurons-nous trouver la ma­nière d’évoquer pour eux la brûlure de ces autres hommes, eux aussi à la  recherche d’un maître et qui ont eu l’audace de demander à Jésus: «Maître, où demeures-tu»? Pour toutes ces femmes et tous ces hommes en attente d’une fraternité en actes, saurons-nous, comme Jésus l’a fait pour tant de personnes sur son chemin, trouver l’amitié, les gestes et les mots pour les aider à sortir de leurs paralysies? Pour tous ces assoiffé(e)s de la vie en quête constante d’épanouis­sement personnel, saurons-nous faire vibrer dans leur cœur les récits des hommes et des femmes de l’Évangile qui, comme la Samaritaine, ont su trouvé leur vraie identité au contact de Jésus, Maître de la Vie en plénitude? Voilà de véritables questions à nous poser, non pas dans la culpabilité, mais dans la paix du cœur, ensemble et fraternellement.

Pour prétendre «engendrer» à la foi, il faut se laisser soi-même - sans cesse et jour après jour - «engendrer» par le Christ. Les chrétiens aujourd’hui ne peuvent témoigner de leur foi que dans la mesure où ils acceptent de suivre eux-mêmes le Christ, en marchant avec lui au milieu du monde tel qu’il est aujourd’hui (et non pas tel qu’il était hier), en se nourris­sant de sa Parole et en étant habités par la brûlante conviction que la Vérité, le Chemin et la Vie ne sont pas des idées ni des dogmes figés, mais une personne, que l’on n’a jamais fini de découvrir et qui se dévoile d’autant plus que l’on se donne les moyens de vivre des relations fraternelles où la parole peut circuler librement dans l’Eglise et dans le monde.

Le christianisme n’est ni une idéologie, ni un simple corps de doctrine auxquels il suffirait d’adhérer. Il est rencontre intime du Christ, tel qu’il se donne à voir et à entendre dans l’Évangile. La question qui nous est posée chaque jour est la suivante: en quel Dieu croyons-nous? Et de quel visage de Dieu sommes-nous les témoins?

Vous le savez bien: «L’avenir de l’Eglise ne dépend pas d’abord de l’éclat de ses institutions et de la valeur de ses membres, mais il dépend du dynamisme incroyablement fécond de l’Evangile» (J. Rigal, p. 134). Alors il nous appartient de faire retentir cet Evangile à la hauteur des attentes de nos contemporains, à la hauteur de l’Humanité telle qu’elle est. Les hommes et les femmes de notre temps ont soif d’une spiritualité qui, loin de les condamner ou de les enfermer dans un discours normatif, identitaire et moralisant, les «sauve». Saurons-nous ouvrir leur cœur à la joie de croire en un Dieu qui s’agenouille devant l’homme – quel qu’il soit et quel que soit son parcours – pour le relever, pour le libérer et pour lui permettre d’avancer au large de toutes ses possibilités?

Oui, Dieu veut-il d’abord que nous fassions un tas de choses… ou bien que nous soyons? Il me semble que Dieu veut avant tout que l’être humain atteigne sa pleine maturité d’adulte dans une alliance où l’être humain est sujet, interprete, decideur et acteur au sein de cette Alliance d’Amour avec l’Humanité, dans une histoire à faire, y compris l’histoire du salut. Quelle place laisse-t-on à ce Dieu de la Bible qui négocie avec Abraham, qui se repent de ses colères, qui se fait partie prenante des grandes errances de son peuple au désert? Comment penser l’avenir sans renouer avec le risque que le Dieu de la Bible et de Jésus-Christ a pris d’avancer avec les incertitudes de nos libertés?

Aujourd’hui plus que jamais, il est de notre responsabilité de chrétiens (quelque soit la fonction que nous occupons) de nous laisser interpeller par «les provocations de l’histoire» et de nous garder d’une «ecclésiologie idéologique», «qui procure jouissance intellectuelle, donne bonne conscience, mais comme le souligne Jean Rigal (p.11), n’est réalisée nulle part»...  L’Église et nous-mêmes en tant que chrétiens, sommes invités à nous décen­trer de nos propres fonctionnements, pour nous mettre tout entier à l’intersection de deux écoutes: celle des hommes de notre temps et celle de la Parole... «le Verbe fait chair et qui a demeuré parmi nous» (Jn). Comme le rappelle le théologien Jean Rigal, «Vatican II n’a pas été con­voqué pour défendre une Institution menacée, mais pour confronter la Parole de Dieu avec le dynamisme de l’histoire. C’est l’Évangile qui est premier et porteur d’avenir, et non l’Institution, qui lui est soumise et y puise ses racines et son élan».

Il me semble en effet, qu’au-delà de la crise des problèmes institutionnels - crise qu’il ne faut pas nier - ce qui est plus profondément en «crise», c’est peut-être notre capacité à faire retentir l’Evangile (voir Jean Rigal p.122) dans le cœur de nos contemporains. C’est là que les jeunes générations nous attendent: «comment être créatifs ensemble, avec eux, et actifs?» En 1990, (il y a donc déjà 19 ans... le temps d’une génération presque...) dans son Encyclique, La Mission du Christ Rédempteur, Jean-Paul II ne disait-il pas déjà ceci: «L’Eglise tout entière doit se mettre à l’écoute de l’homme moderne pour la comprendre et pour inventer un nouveau type de dialogue permettant de porter l’originalité du message évangélique au cœur des mentalités actuelles».  (Jean-Paul II, Encyclique, La Mission du Christ Rédempteur, décembre 1990). Voilà un défi que vous pouvez relever chacun personnellement, là où vous vivez et travaillez. Et Jean Rigal d’écrire (p.122): «L’institution fait douloureusement l’expérience de ses limites : ‘Faite d’un élément humain et divin’ (L.G., n°8), elle montre sa fragilité. Son corps blessé, plein de cicatrices et de prothèses, n’en reste pas moins ‘présence visible de Dieu’ dans le monde de l’humanité. Paradoxalement, sa situation précaire la remet, sans concession, face à son origine et à son identité».

Osons entrevoir l’avenir de l’Eglise, des Parvis… dans une perspective spirituelle, en faisant confiance au Seigneur qui ne cesse de dire à chacune et à chacun d’entre nous: «Ne crains pas, je suis avec toi». Dire cela, ce n’est pas refuser de reconnaître l’affaiblissement institutionnel évident de l’Eglise aujourd’hui. Ce n’est pas non plus fermer aveuglément les yeux sur les mutations de notre temps. Je crois très fermement que la spiritualité n’a pas une fonction d’endormissement, mais au contraire, elle appelle jour après jour l’Homme à devenir libre et responsable. La spiritualité vivante est toujours profondément incarnée - à l’opposé de la politique de l’autruche, à l’opposé d’un excès d’optimisme qui n’aurait pour fonction que de se rassurer soi-même et de se complaire dans un immobilisme stérile parsemé de quelques ajustements mineurs nécessaires à la survie de ce qui était. Poser un regard spirituel, c’est - dans la situation réelle de l’Eglise et du monde tels qu’ils sont aujourd’hui (et non pas tels qu’ils étaient était hier et encore moins tels qu’ils seront demain) - se laisser inviter à risquer une aventure pascale, au sens chrétien du terme, c’est-à-dire de vivre des passages.

Il s’agit en effet - et là je prends appui sur quelques réflexions de Jean Rigal (p. 125-128) – d’oser passer:

1.      d’une Eglise puissante à une Eglise fragile
2.      d’une Eglise rivale à une Eglise partenaire
3.      d’une Eglise englobante à une Eglise de la rencontre
4.      d’une Eglise du nombre à une Eglise du signe

Ces passages ne peuvent s’opérer que si l’on accepte de conjuguer paisiblement différents binômes, à savoir: «héritage et recherche, tradition et invention, continuité et changement, stabilité et imagination, fidélité et épanouissement, autorité et autonomie, vérité et liberté, etc....». Il s’agit en effet de passer d’une Eglise autosuffisante à une Eglise interlocutrice, inspiratrice de sens et fermente du Royaume dans ce monde tel qu’il est.

Lorsque nous prenons le temps de nous interroger sur l’avenir des Parvis, le faisons-nous uniquement en questionnant la structure même des Parvis? Ou acceptons-nous de le faire à partir de notre réalité humaine, en nous situant dans un «je» personnel, libre, responsable, réconcilié et debout. Et osons-nous conjuguer ce «je» avec un «nous» communautaire, respectueux de la différence de l’autre et heureux de la partager, de s’en nourrir.

Avant de vous rejoindre, j’ai parcouru le dernier numéro Hors Série des Parvis: Eglise, qu’as-tu fait de ton Evangile?... Et j’y ai trouvé des réflexions très pertinentes. Mais en même temps, permets-moi d’être vraie avec vous, je suis restée sur ma faim et je me suis dit: c’est bien, ils osent dire…mais est-ce que la manière de le faire est vraiment entendue. Parce que vous avez une longue expérience de combat, d’opposition, de confrontation qui a fait avancer des choses dans l’Eglise, j’ai presque envie de vous dire peut-être timidement: pour aider les jeunes générations, transmettez-leur le fruit de vos combats et apprenez-leur, non pas d’abord et systématiquement à s’opposer ou à se confronter…à….mais à se positionner clairement. Dans leur vie, dans leur choix, dans leurs engagements et peut-être même dans leur foi chrétienne ou autre. Se positionner, c’est se donner le droit d’exister et permettre à l’autre du même coup, de se positionner et d’exister aussi dans l’altérité. C’est là un vrai cadeau à faire à nos jeunes générations qui ont tant de mal à se positionner en être libre, adulte, responsable, réconcilié et debout.

Une autre interrogation me parait importante à souligner, voire même à méditer! En effet, croyons-nous suffisamment, comme le suggère Maurice Bellet(17), que l’Évangile est «une Parole inaugurale qui ouvre l’espace de la vie». Vous le savez aussi bien que moi: les Apôtres ne transmet­taient ni des dogmes rigides ni une organisation béton, mais des paroles vivantes, engendrées par le travail d’intériorité que la foi dans le Christ Ressuscité et la grâce de l’Esprit Saint suscitait en eux et qu’ils essayaient de traduire dans les cultures de l’époque. Nous donnons-nous suffisamment  les moyens pour entendre, écouter, comprendre et répondre au mieux possible aux appels de notre temps et inventer un vocabulaire, un discours adapté à la réalité d’aujourd’hui?

Pour rester crédible dans le pluralisme religieux(18) ambiant, il nous appartient vraiment d’apprendre à mieux écouter les angoisses de nos contemporains et à nous ouvrir à leur besoin de convivialité et de chaleur humaine. Il ne s’agit pas d’habiller de belles couleurs des discours qui resteraient inchangés sur le fond, mais d’oser faire évoluer sa pensée en tenant compte des aspirations des femmes et des hommes de ce temps tout en demeurant fidèle à ce qui fait la spécificité du message de Jésus-Christ. Promouvoir une spiritualité centrée sur les valeurs de l’Évangile, susciter l’envie de croire en la parole de Dieu et encourager l’engagement dans les débats de la société, c’est à cette charnière entre spiritualité et service (ou engagement) que se joue un des défis importants pour l’avenir des chrétiens. Car si l’histoire montre que depuis des millénaires l’Homme cherche Dieu, ce qui fait l’originalité de la foi chrétienne, c’est que Dieu vient chercher l’Homme, comme en témoignent admirablement les différentes rencontres de Jésus avec la Samaritaine, Zachée, Marie-Madeleine, la femme adultère, le publicain et tant d’autres personnes de son temps(19). Nourrir un christianisme d’intériorité et développer en même temps un christianisme d’engagement, c’est certainement devenir pleinement participant de la transformation du monde, une transformation solidaire et fraternelle?

Conculsion

Pour conclure, je dirai volontiers que trop souvent encore – au  lieu de nous laisser surprendre par l’action de Dieu dans le cœur des hommes et des femmes de notre temps - nous demeurons crispés sur le passé. Nous ne voyons que ce qui ne va pas ou ne va plus, ce qui fonctionnait et qui ne fonctionne plus, ce qui autrefois rassemblait du monde et qui aujourd’hui n’en rassemble plus. Et nous oublions de regarder ce qui est en train de naître, de grandir, de prendre racine… Je serai presque tenter de dire que ce n’est pas seulement le monde qui se sécularise, mais aussi notre regard qui ne sait plus voir l’engendrement à la vie de Dieu toujours actuelle dans les relations humaines. Dans une société qui ne vit plus en majorité d’une seule religion, de nouvelles manières de vivre le rapport à la transcendance et au «religieux» en général se dessinent.      Et là, je crois que l’on touche vraiment à une question de fond : quelle spiritualité, nous chrétiens, offrons-nous à nos contemporains en quête de sens et d’espérance ?

Nous avons peut-être besoin de nous rappeler de temps en temps que nous sommes avant tout des «porteurs» d’une Bonne Nouvelle et nous avons à devenir des «passeurs» d’Evangile ! Des passeurs d’Evangile, c’est-à-dire des hommes et des femmes qui se donnent les moyens de comprendre non seulement intellectuellement la parole de Dieu, mais de s’en nourrir aussi spirituellement. Et ce faisant, nous pourrons témoigner du fait que l’Evangile est vraiment «une parole inaugurale qui ouvre l’espace de la vie». Car ne l’oublions – et là je reprendrai mot pour mot le texte d’un auteur anonyme (XVe s.) – qui est selon moi, toujours d’une étonnante actualité:

«Christ n'a pas de mains.
Il n'a que nos mains pour faire son travail aujourd'hui.
Christ n'a pas de pieds.
Il n'a que nos pieds pour conduire les hommes sur son chemin.
Christ n'a pas de lèvres.
Il n'a que nos lèvres pour parler de Lui aux hommes aujourd'hui.
Christ n'a pas d'aide.
Il n'a que notre aide pour mettre les hommes de son côté.
Nous sommes la seule Bible que le public lit encore.
Nous sommes le dernier message de Dieu écrit en actes et en paroles.»

Entrevoir l’avenir des membres des Parvis de manière paisible et constructive, c’est peut-être accepter chacun, chacune d’oser rencontrer l’intergénérationnelle dans une dynamique d’engendrement et d’accompagnement. C’est passé d’une parole qui explique à une parole partagée en relation avec l’expérience vécue. C’est quitter le souci du nombre et de la structure…pour s’ouvrir à des relations gratuites et être signe, témoin des valeurs de l’Evangile qui vous animent. Permettre aux jeunes générations de percevoir en vous votre courage, votre espérance, votre souffle, c’est leur donner l’occasion de se poser un jour la question: «mais qui est donc Celui qui les fait vivre du dedans d’eux-mêmes?»  Faire retentir l’Evangile à hauteur d’Humanité : voilà le défi à relever. 

Oui, si nous pouvions envisager l’avenir en demeurant vigilants à tout ce qui naît au milieu de nous, à la créativité des uns et des autres, aux idées nouvelles, aux événements qui surviennent? Si on acceptait cette idée que l’homme contemporain est capable de Dieu autant que par le passé, que le christianisme qui vient sera autant le fruit de nos efforts que celui de la liberté humaine et du travail de l’Esprit au coeur du monde? Plutôt que d’être sans cesse tirés en arrière vers des modèles tout faits qu’on pense être les seules références possible, veillons plutôt à tout ce qui parvient à pousser dans les brèches et les fissures de nos grands murs qui croulent.

«Dans les Béatitudes, il n’est pas question d’appartenir; quand Jésus dit: «Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait», il laisse entendre que le salut ne vient nullement d’une appartenance. Cela signifie que l’on peut être homme et femme du Royaume sans même le savoir, et que ce qui est en jeu dans cette attitude-là et qui est radicalement étranger à la pastorale de la transmission et à la logique d’appartenance, c’est comment des hommes et des femmes peuvent advenir à la vie. Il s’agit de comprendre que la première marche de l’accès au salut, c’est d’être vivant et que les chrétiens ne peuvent pas se désintéresser de la vie. Le message de l’Evangile, c’est: «Soyez vivants»!

Je terminerai par une citation de Jean-Marie Donegani, extraite d’un article intitulé: «individu, sujet et communauté» et qui fait référence à deux ouvrages de De Bacq sur la pastorale de l’engendrement: «La pastorale de l’engendrement n’est pas la transmission d’une doctrine, c’est le recueil, c’est l’accueil des signes portés par des sujets demandeurs, des signes de ce qu’ils sont devenus ou en passe de devenir sujets, qu’ils sont dans le sens de la vie, qu’ils sont en vue du Royaume. Le Royaume, c’est un «entre-nous», ce n’est pas un lieu; le Royaume est un non-lieu, il est précisément la relation. La Révélation est une expérience de relation. La pastorale de l’engendrement, c’est simplement cela. Elle n’est pas facile à mettre en œuvre. C’est un mouvement qui anime toute sollicitude envers les êtres, c’est une attitude d’accueil de la vie en chacun.

C’est quelque chose qui repose fondamentalement sur l’idée que je ne sais rien de la foi d’autrui, que je n’ai aucun projet sur lui. De ce point de vue, ce qui est la rectitude éthique de cette attitude pastorale, c’est que je ne peux me dire ni père, ni maître, ni docteur. En d’autres termes dans cette attitude pastorale, il n’y a plus un évangélisateur et un évangélisé, il y a de l’Évangile entre les deux, de la Bonne Nouvelle dans ce qu’ils s’entre-disent et dans ce qu’ils s’entre-reconnaissent. Peut-être la Parole avec un grand «P» advient-elle pour ce moment-là, entre ceux- là, et c’est uniquement de cela qu’il est question dans l’évangélisation (...)».

Christine Aulenbacher

Christine Aulenbacher, Maître de Conférences de la Faculté de Théologie Catholique à l’Université de Strasbourg, a donné cette conférence à l’occasion de l’Assemblée Générale de Parvis, le 28 novembre 2009.


(1) François de SINGLY, Libres ensemble. L’individualisme dans la vie commune, Paris, Nathan Université, 2000, p. 19-22.
(2) Quelques chiffres illustrent cette évolution: le développement des unions libres, de 2,9% en 1962 à 18% en 1999. Le développement du PACS (pacte civil de solidarité) instauré en novembre 1999: de 6151, fin 1999 à 1700 000 en 2006; l’augmentation des divorces: aujourd’hui, la France recense 42 divorces pour 100 mariages, contre seulement 12 divorces pour 100 mariages en 1970. Parmi les premières unions libres débutées vers 1990, qu’elles aient ou non pris la forme du mariage, 15% ont été rompues dans les cinq ans, près de 30 % dans les dix ans. Les naissances hors mariage ne cessent d’augmenter: en 2005, 48,3% des enfants sont nés au sein d’un couple qui a choisi l’union libre, contre seulement 7% en 1970. La France, où près de la moitié des enfants naissent hors mariage, est l’un des pays européens où le déclin du modèle traditionnel est le plus fort: en Allemagne, au Portugal, en Belgique, en Espagne, plus de 75% des enfants naissent encore au sein d’un couple marié. En Italie ou en Grèce, c’est le cas de plus de 90 % des enfants. Avec l’augmentation des séparations, la fin du XXème siècle a vu croître les familles monoparentales et les familles recomposées. En 1999, selon l’INED, plus d’un enfant sur cinq (trois millions au total) ne vivait pas avec ses deux parents. Dans la grande majorité des cas (63,2%), ces enfants vivent avec leur mère. En une quarantaine d’années, la part des familles monoparentales a presque doublé: elles représentaient 18,6% des familles en 1999 contre 9,4% trente ans auparavant. Cf. Le Monde du 26 janvier 2006.
(3) Le quotidien La Croix du 12 décembre 2005 titrait à la page 20: «Les organisations syndicales ont le ‘papy blues’. Dans les années qui viennent, le départ à la retraite de la génération papy-boom va priver les syndicats d’une partie de leurs adhérents».
(4) Pierre Yves CUSSET, Individualisme et lien social, in La Documentation Française, n° 911, avril 2005, p. 9.
(5) Jean-Claude KAUFMANN, L’invention de soi. Une théorie de l’identité, Paris, Armand Colin, 2004, p. 17.
(6) Le «tout est possible» se heurte immanquablement aux limites physiologiques de l’homme.
(7) Alain EHRENBERG, op.cit., p. 245.
(8) Alain EHRENBERG, op.cit., p. 292.
(9) Chapelle (G.), Le moi. Du normal au pathologique, Paris, Ed. Sciences Humaines, 2004.
(10) Martin (D.), Metzger (J.-L.), Pierre (P.), Les métamorphoses du monde. Sociologie de la mondialisation, Paris, Seuil, 2003.
(11) Singly De (F.), Les uns avec les autres. Quand l’individualisme crée du lien, Paris, Armand Colin, 2003.
(12) Singly De (F.), L’individualisme est un humanisme, La Tour d’Aigues, Ed. de l’Aube, 2005.
(13) Pacot (S.), L’évangélisation des profondeurs, Paris, Cerf, 1999; Reviens à la vie, Paris, Cerf, 2002; Ose la vie nouvelle, Paris, Cerf, 2003.
(14) Chanteur (J.), Vernette (J.), Laupies (F.) et alii, La vie intérieure. Une nouvelle demande, Académie d’éducation et d’études sociales (AES), Paris, Fayard, 1998.
(15) Burdelot (Y.), Devenir humain. La proposition chrétienne aujourd’hui, Paris, Cerf, 2002.
(16) Philippe Bacq et Christophe Theobald (dir.), Une nouvelle chance pour l’Évangile. Vers une pastorale d’engendrement, Lumen vitæ/Éd. de l’Atelier, 2005.
(17) BELLET M. La Quatrième Hypothèse, Desclée de Brouwer, 2001.
(18) Lenoir (F.), Les métamorphoses de Dieu. La nouvelle spiritualité occidentale, Paris, Plon, 2003.
(19) Grün (A.), Jésus, Paris, Bayard, 2005.

Reacties

Een zwager 80 jr, is overleden, euthanasie. Bij de aanvraag om euthanasie werd hij gewezen op problemen met parochiepastoors bij ziekenzalving en uitvaart. Mijn zwager en zijn vrouw, betrokken kerkelijke vrijwilligers, overlegden met hun pastoor, die geen problemen maakte. Mijn zwager kreeg, toen het zover was, de ziekenzalving en uitvaartmis in de parochiekerk. Voorwaarde was dat het niet aan de grote klok gehangen werd… Zou het evangelie klinken op het niveau van de mens zoals die is, dan zou in Nederland waar euthanasie bij de wet geregeld is, dit thema in de geloofsgemeenschap openlijk besproken moeten worden. Oude mensen weten niet hoe ermee om te gaan; mensen waar mijn schoonzus als parochievrijwilligster altijd plezierig mee omging, willen haar geen hand geven om te condoleren. Veel priesters billijken euthanasie. Het wordt hoog tijd dat zij dit in hun parochiebladen publiekelijk melden. In hun parochiezalen in het licht van het evangelie dit thema met hun verwarde gelovigen bespreken.
A.W. Vink - Oldenzaal


'Dus moeten we dat evangelie laten klinken op het niveau van de verwachtingen van onze tijdgenoten, op het niveau van de mens zoals die is.' Ik heb niet alles gelezen - het verhaal was me te lang en de woorden te mooi. Maar bovenstaande zin is goed en zegt mij denk ik genoeg. Concreet: Een nog jonge katholieke vrouw is na een langdurige ziekte overleden. De kanker zat door haar hele lichaam - in haar hoofd en in haar botten. Pijnbestrijding was nauwelijks mogelijk. Uiteindelijk was afgesproken dat de dokter haar zou helpen met sterven. Haar hele gezin was erbij - ze hebben over en weer heel goed afscheid genomen; er was rust. Maar de ziekenzalving, waar ze ook om had gevraagd, trouwe kerkgangers als zij en haar man altijd waren, kreeg ze niet - vanwege die euthanasie. Ook een kerkelijke uitvaart was niet mogelijk. We redden ons wel - ik ga morgen voor in haar uitvaart - en met zijn allen zullen we haar zegenen... Ik maak dit niet voor het eerst mee.....
Corrie Wolters - Almelo



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